samedi 5 janvier 2008

CE, 11 mai 1990, Bureau d'aide sociale de Blénod les Ponts-à-Mousson : 18 après, Vérité sur un arrêt qui n'a pas changé le monde

Résumé : L’arrêt Bureau d’aide sociale de Blénod les Ponts-à-Mousson a t-il changé la méthode du juge dégagée par l’arrêt UAP quant à la qualification d’un contrat entre deux personnes publiques ? Une partie de la doctrine, et pas la moindre, répond oui. Pourtant, il semble que rien n’est moins sur, cet arrêt semblant tenir une place surestimée dans l’histoire des critères retenus pour qualifier un contrat entre deux personnes publiques.


La jurisprudence, ou la doctrine qui la commente, recèle parfois des Mystères qui n’ont rien à envier à ceux des Anciens.
On en veut pour preuve le destin énigmatique de l’arrêt Bureau d’aide sociale de Blénod les Ponts-à-Mousson rendu par le Conseil d’Etat le11 mai 1990 .

Cet arrêt se place dans la problématique plus vaste de la qualification juridique des contrats conclus entre personnes publiques. Un retour en arrière semble inévitable pour comprendre les entrelacs et les chiasmes du malentendu. Dont acte.

Depuis l’arrêt du Tribunal des Conflits du 21 mars 1983 « UAP », il était acquis qu’un contrat entre deux personnes publiques devait être qualifié en principe de contrat de droit public : « un contrat conclu entre deux personnes publiques revêt en principe un caractère administratif ».

Une présomption d’administrativité du contrat était donc établie. Mais une présomption réfragable puisque le Tribunal précisait, pour relativiser la portée du principe : « sauf dans le cas où, eu égard à son objet, il ne fait naître entre les parties que des rapports de droit privé ».

Le Tribunal des Conflits mettait donc en place un raisonnement en deux temps :

la mise en avant du critère organique comme facteur premier de détermination de la qualification du contrat
la relativisation du critère organique par la prise en compte de l’objet du contrat. Objet qui renverse la présomption d’administrativité s’il fait naître des rapports de droit privé entre les parties

Enjambons allégrement les années à pas de Géant pour nous tourner vers un arrêt du Conseil d’Etat rendu le 15 novembre 1999, l’arrêt « Commune de Bourisp ».

Cet arrêt va venir infléchir la position du Tribunal des Conflits issue de l’arrêt UAP.

Infléchir seulement, car le dispositif prévu par UAP demeure. Le considérant de principe est à cet égard sans ambiguïté : « Considérant qu’un contrat entre deux personnes publiques revêt en principe un caractère administratif, sauf dans le cas où, eu égard à son objet, il ne fait naître entre les partie que des rapports de droit privé ».

Toutefois, l’arrêt Bourisp marque une rupture avec l’arrêt UAP puisqu’il précise que, quand bien même l’objet du contrat ferait naître des rapports de droit privé entre les parties, le contrat peut tout de même être qualifié de contrat administratif en cas d’ « existence dans la convention de clauses exorbitantes du droit commun ».

Le Conseil d’Etat ajoute donc une troisième étape au raisonnement établi par le Tribunal des Conflits, celle de la recherche d’une clause exorbitante du droit commun.

L’existence d’une telle clause emporte la qualification du contrat de contrat administratif, même si l’objet du contrat fait naître des rapports de droit privé entre les parties.

On pourrait parler de nouveauté jurisprudentielle importante.

Las !!! L’arrêt Bureau d’aide sociale de Blénod les Ponts-à-Mousson surgit alors pour jeter une ombre sur l’interprétation de la portée de l’arrêt Bourisp.

En l’espèce, il s’agissait d’un contrat entre un OPHLM et un bureau d’aide sociale, soit deux personnes publiques.

Certains présentent l’arrêt Bourisp comme une confirmation de l’arrêt Bureau d’aide sociale de Blénod les Ponts-à-Mousson.

Quid de cette lecture ?

Commençons par dire que ce sont des Monuments du droit administratif qui présentent l’arrêt Bureau d’aide sociale de Blénod les Ponts-à-Mousson comme le précurseur de la prise en compte de la clause exorbitante du droit commun pour la qualification du contrat passé entre deux personnes publiques même si l’objet du contrat fait naître des rapports de droit privé entre les parties.

Ne nous dissimulons pas qu’oser la critique nous fait encourir la gravissime accusation d’hérésiarque.

Las. Engageons nous résolument sur notre chemin de croix.

On doit commencer ici par citer René Chapus selon lequel, « le Conseil d’Etat va voir (dans la convention) un contrat de droit privé, eu égard à son objet sans doute, mais non sans avoir marqué qu’elle ne comportait pas de clause exorbitante. C’est à dire que, dans cette affaire aussi, le juge qualifie la convention exactement de la même façon que si elle était intervenue entre une personne publique et une personne privée, et cependant non sans avoir pris soin de reproduire le considérant de principe de l’arrêt UAP ».[1]

De même, on peut évoquer l’incontournable recueil Lebon qui semble prendre parti pour une interprétation de l’arrêt Bureau d’aide sociale de Blénod les Ponts-à-Mousson comme faisant de la clause exorbitante du droit commun un élément entrant en compte pour la qualification du contrat passé entre deux personnes publiques. En effet, le célèbre recueil, dans les mots clés lui permettant de cerner les thèmes abordées par une jurisprudence, parle de clauses exorbitantes du droit commun.[2]
Précisons les mots clés retenus par le recueil pour l’arrêt qui nous intéresse : « Notion de contrat administratif. Nature du contrat. Contrats n’ayant pas un caractère administratif. Contrats ne concernant pas directement l’exécution d’un service public et ne contenant pas de clauses exorbitantes du droit commun (souligné par nous). Contrat conclu entre deux personnes publiques mais ne faisant naître entre elles que des rapports de droit privé. »

Toute le doctrine ne se range pas dans la camp de ceux faisant de l’arrêt Blénod les Ponts-à-Mousson l’arrêt précurseur de la prise en compte de la clause exorbitante du droit commun dans la qualification du contrat entre deux personnes publiques.

C’est ainsi que François Colly considère l’arrêt du Conseil d’Etat comme « une (…) application de la jurisprudence du Tribunal de Conflits, UAP contre Secrétaire d’Etat aux P et T ».[3]

De même, François Llorens, dans son commentaire de l’arrêt Bureau d’aide sociale de Blénod les Ponts-à-Mousson, a pu résumer la portée de la jurisprudence de la façon suivante : « un contrat conclu entre deux personnes publiques est présumé administratif. Mais cette présomption tombe s’il ne fait naître entre les parties que des rapports de droit privé. Tel est le cas d’un bail passé par un OPHLM avec un bureau d’aide sociale. »[4] En somme, une simple mise en œuvre de l’arrêt UAP.

Devant toutes ces interprétations et présentations, on se rend compte que le seul acteur que nous n’avons pas interrogé… est l’arrêt lui même !

Levons le rideau. Que le drame commence.

Revenons donc aux sources, c’est à dire à l’arrêt. La lecture est édifiante.

« Considérant qu'un contrat conclu entre deux personnes publiques revêt en principe un caractère administratif, impliquant la compétence des juridictions administratives pour connaître des litiges portant sur les manquements aux obligations en découlant, sauf dans les cas où, eu égard à son objet, il ne fait naître entre les parties que des rapports de droit privé ; (souligné par nous)
Considérant qu'aux termes de la "convention de location" passée le 20 avril 1976, l'Office public d'habitations à loyer modéré de Meurthe-et-Moselle a donné à bail au bureau d'aide sociale de Blénod les Ponts-à-Mousson pour une durée d'un an renouvelable, un ensemble de bâtiments moyennant une redevance fixée en fonction de la législation sur les HLM ; que l'article 6 de cette convention stipule que le bureau d'aide sociale a "la responsabilité entière et exclusive de tous les services ... fonctionnant dans les lieux loués" ; que, dès lors, eu égard à son objet, le contrat dont il s'agit n'a fait naître entre l'Office public d'habitations à loyer modéré de Meurthe-et-Moselle et le bureau d'aide sociale de Blénod les Ponts-à-Mousson que des rapports de droit privé (souligné par nous), et que la requête du bureau d'aide sociale tendant à obtenir la condamnation de l'office sur le fondement des stipulations dudit contrat ne ressortit pas à la compétence de la juridiction administrative ;Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le bureau d'aide sociale de Blénod les Ponts-à-Mousson n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa requête comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ; »

On ne trouve aucune mention à des clauses exorbitantes du droit commun…
En l’espèce, le contrat conclu entre deux personnes publiques est qualifié de droit privé car son objet fait naître entre les parties des rapports de droit privé. Il y a donc renversement de la présomption d’administrativité due à la présence au contrat de deux personnes publiques.

La solution Bureau d’aide sociale de Blénod les Ponts-à-Mousson apparaît, dès lors, comme une simple application de l’arrêt UAP de 1983.

Par conséquent, il semble bien que c’est l’arrêt Bourisp qui introduit dans la jurisprudence administrative l’idée d’une prise en compte de la clause exorbitante de droit commun pour qualifier un contrat d’administratif alors même que son objet ferait naître des rapports de droit privé entre les parties.

Il nous reste, pour conclure, à essayer de comprendre pourquoi certains font de l’arrêt Bureau d’aide sociale de Blénod les Ponts-à-Mousson le précurseur de la prise en compte de la clause exorbitante du droit commun dans la qualification du contrat entre deux personnes publiques.

Le poids de René Chapus dans notre droit administratif et le rôle majeur du recueil Lebon expliquent sans doute ces méprises. On note que par leur seule renommée un arrêt somme toute classique a pu prendre vie et place parmi les jurisprudences qui innovent…

Mais sans doute existe t-il des raisons logiques à la mauvaise interprétation faite de la portée de l’arrêt Bureau d’aide sociale de Blénod les Ponts-à-Mousson.

Ces raisons tiennent essentiellement, nous semble t-il, aux conclusions du Commissaire du gouvernement, M. Hubert.[5]

En effet, le commissaire du gouvernement nous révèle que le tribunal administratif avait rendu un jugement qualifiant le contrat en cause en s’appuyant sur les notions de clause exorbitante du droit commun et d’exécution du service public.

En somme, le tribunal administratif a qualifié le contrat entre deux personnes publiques en fonction des critères applicables en cas de contrat entre une personne publique et une personne privée.

En faisant cela, le tribunal administratif se rattachait à une ancienne jurisprudence du Conseil d’Etat, l’arrêt d’Assemblée du 3 février 1942 « Commune de Sarlat »[6].

Dans cet arrêt Sarlat, le juge administratif détermine la nature du contrat passé entre deux personnes publiques en fonction du contenu du contrat (existence d’une clause exorbitante du droit commun) ou de l’objet du contrat (exécution du service public). La nature des contractants n’emportent pas une méthode de qualification différenciée des contrats passés entre personne publique et personne privée.

Mais le commissaire du gouvernement Hubert repousse un tel raisonnement, en relevant que « les termes du jugement et le terrain sur lequel se placent les parties ne sont pas les bons » depuis l’arrêt UAP qui vient poser des critères spécifiques à la qualification du contrat entre deux personnes publiques : « les critères traditionnels ne doivent plus s’appliquer lorsque les deux co-contractants sont des personnes publiques. »

Le trouble naît sûrement du fait de l’utilisation par le commissaire du gouvernement de la notion de régime exorbitant du droit commun par référence aux conclusions Labetoulle de l’arrêt UAP. Le commissaire du gouvernement Hubert rappelle en effet que « (Labetoulle) n’excluait pas que dès lors qu’un autre élément de droit public se manifesterait, par exemple la présence d’un régime exorbitant au sens de la jurisprudence du 19 janvier 1979, Société d’exploitation électrique de la rivière de Sant, la présomption puisse jouer de nouveau. »

Mais l’arrêt UAP ne tient aucun compte du régime du contrat et n’en fait pas un élément permettant d’empêcher la remise en cause de la présomption d’administrativité du contrat passé entre deux personnes publiques. L’existence de rapports de droit privé naissant du contrat passé entre deux personnes publiques permet de qualifier celui-ci de droit privé, le Tribunal ne dit pas que l’existence d’un régime exorbitant du droit commun permettrait de revenir à une qualification de contrat administratif. En clair, la position du commissaire du gouvernement Labetoulle n’a pas été suivie sur ce point.

La tentative du commissaire du gouvernement Hubert de faire prendre en compte le régime exorbitant du contrat dans la qualification de celui-ci ne sera pas non plus couronnée de succès. La Haute Assemblée ne fait aucune référence à la notion de régime exorbitant du droit commun (qui n’est pas synonyme de la notion de clause exorbitante du droit commun) dans le corps de l’arrêt et se « limite » au dispositif mis en place par l’arrêt UAP.

L’arrêt Bureau d’aide sociale de Blénod les Ponts-à-Mousson n’est donc pas l’arrêt précurseur de la prise en compte du critère de la clause exorbitante du droit commun dans la qualification du contrat entre deux personnes publiques.

Rendons à Bourisp ce qui est à Bourisp, n’en déplaisent à certains commentaires.

C’est bien cet arrêt qui insère la prise en compte de la clause exorbitante du droit commun dans la qualification du contrat passé entre deux personnes publiques, après avoir rappelé le dispositif prévu par l’arrêt UAP, c’est à dire la présomption d’administrativité du contrat et son caractère réfragable.

Mais l’arrêt Bourisp ne semble être qu’une étape dans cette problématique de la qualification du contrat passé entre deux personnes publiques depuis, notamment, l’arrêt du Conseil d’Etat du 1er mars 2000 « Commune de Morestel »[7].

On lit en effet que la Haute Assemblée relève à propos d’un contrat passé entre deux personnes publiques « qu’il n’a pas pour objet l’exécution d’une mission de service public incombant à l’une ou l’autre de ses parties ; qu’il ne comporte aucune clause exorbitante du droit commun ; que ce contrat, passé notamment entre deux personnes publiques, ne fait par suite, nonobstant la circonstance qu’il a été conclu dans le cadre de la procédure de ‘’grands travaux d’aménagement du territoire’’, naître entre ses parties que des rapports de droit privé et n’a pas le caractère d’un contrat administratif. »

On note un glissement très intéressant : dans l’arrêt Bourisp, le juge administratif commence par rappeler le dispositif UAP et termine par la clause exorbitante du droit commun. Dans l’arrêt Commune de Morestel, le juge administratif rappelle les critères alternatifs du contrat pour finir avec le dispositif UAP.

Faut-il conclure de cela que le juge administratif est en train de changer la hiérarchie des critères de qualification du contrat entre personnes publiques et que les critères tirés de l’arrêt UAP sont en déclin ?

Dans l’arrêt Bourisp, le juge administratif citait les critères de l’arrêt UAP avant les critères alternatifs. Pourtant, c’est bien sur le fondement de la clause exorbitante du droit commun que le contrat, en l’espèce, fut qualifié de contrat administratif.

Dans l’arrêt Commune de Morestel, le juge administratif présentait les critères alternatifs du contrat avant ceux tirés de l’arrêt UAP. Le contrat, en l’espèce, a été qualifié de contrat de droit privé car il ne faisait naître que des rapports de droit privé entre les parties. Mais il est clair qu’en cas d’identification d’une clause exorbitante du droit commun ou d’exécution du service public, ce contrat aurait été qualifié de contrat administratif.

La logique est donc renversée.

Avec l’arrêt Bourisp, on recherche d’abord si la présomption d’administrativité du contrat n’est pas renversée par l’existence de rapports de droit privé entre les parties. On regarde ensuite s’il n’y a pas de clause exorbitante du droit commun. Le raisonnement du Conseil d’Etat est très clair à cet égard.

Avec la jurisprudence Commune de Morestel, on recherche en premier lieu si le contrat ne contient pas une clause exorbitante du droit commun ou ne vise pas l’exécution du service public. Si ce n’est pas le cas, alors on regarde la nature des rapports naissant du contrat pour qualifier ce dernier. Le critère organique semble totalement évanescent et la question des rapports naissant du contrat subsidiaires par rapport aux critères alternatifs du contrat. L’existence d’une clause exorbitante du droit commun ou de l’exécution d’une mission de service public suffirait à qualifier le contrat de contrat administratif.

Faut-il penser que le juge administratif prépare un revirement de jurisprudence qui verrait l’abandon de l’arrêt UAP pour un retour plein et entier à la jurisprudence Sarlat ?

Sans doute ne faut-il pas tirer de conclusions trop hâtives. La seule conviction qui ressort de cette modeste étude est que l’arrêt Bureau d’aide sociale de Blénod les Pont à Mousson est largement surestimée par certains. Pour le reste, l’urgence est à l’attente, comme tout commentateur fatigué le proclame au terme de ses quelques lignes…

Fouad Eddazi
Allocataire de recherche, chargé d’enseignement à la Faculté de droit d’Orléans

[1] Chapus (R) : Droit administratif général, tome 1, Montchrestien, 15e édition, p. 547
[2] Recueil, p. 123
[3] COLLY (F) : Commentaire de l’arrêt du Conseil d’Etat le11 mai 1990 « Bureau d’aide sociale de Blénod les Ponts-à-Mousson », AJDA 1990, p. 614
[4] LLORENS (F) : Commentaire de l’arrêt du Conseil d’Etat le11 mai 1990 « Bureau d’aide sociale de Blénod les Ponts-à-Mousson », CJEG, 1991, p. 279
[5] Conclusions Hubert sous l’arrêt du Conseil d’Etat du 11 mai 1990 « Bureau d’aide sociale de Blénod les Ponts-à-Mousson », CJEG, octobre 1990, p. 347
[6] Rec., p. 49
[7] CJEG 2000, p. 191, conclusions G. Goulard et note de P. Sablière

jeudi 21 décembre 2006

L’évolution de la jurisprudence USIA : vers un « label » de SPIC ?

Deux arrêts récents du Tribunal des conflits semblent remettre en cause la jurisprudence USIA relative à la distinction SPIC- SPA.

Dans cette décision d’assemblée du 16 novembre 1956, le Conseil d’Etat a systématisé les critères permettant de renverser la présomption d’administrativité pesant sur les services publics. Selon cette jurisprudence, trois critères permettent de renverser cette présomption et, en conséquence, de qualifier le service public de SPIC : l’origine des ressources, les modalités de fonctionnement et l’objet du service. Si ces trois éléments sont organisés d’une façon comparable à celle d’une entreprise privée, le service public pourra être qualifié de SPIC.

Bien que cette jurisprudence ait permis de tracer, pour la première fois et de manière relativement convaincante, une frontière nette entre les SPIC et les SPA, force est de constater que son application s’est rapidement heurtée à divers obstacles.

La principale difficulté tient au fait de savoir si les trois critères de l’objet, du mode de fonctionnement et de l’origine des ressources sont cumulatifs. Une partie de la doctrine s’est prononcée en ce sens. Ainsi, le professeur Chapus, dans son ouvrage de Droit administratif général (Tome1) écrit (§768 de la 15ème édition) « un service ne sera reconnu comme industriel et commercial que si aux trois points de vue – objet, origine des ressources, modalités de fonctionnement – il ressemble à une entreprise privée. Il suffit qu’il en diffère à l’un de ces trois points de vue pour qu’il soit tenu pour administratif […] Telle est la règle et il n’est pas douteux qu’elle est observée dans les cas où la rédaction des arrêts n’en témoigne pas avec évidence. »

Cependant, les conclusions du commissaire du gouvernement Laurent sous l’arrêt USIA (Dalloz, 1956, p. 459) ne sont pas dépourvues d’ambiguïté. En effet, selon lui, « il n’y a d’autre ressource que de faire suivre l’analyse d’une appréciation d’ensemble ». Ainsi, compte tenu de cette formulation et du laconisme de l’arrêt de la Haute Assemblée, le doute est permis. La jurisprudence du Conseil d’Etat a contribué à renforcer cette incertitude puisqu’il lui est arrivé à plusieurs reprises de qualifier une activité de SPIC alors même que l’un des critères n’était pas rempli. C’est ainsi que dans un arrêt du 9 janvier 1981, Bouvet (rec. p. 4) le Conseil d’Etat a considéré que la gestion du service public en régie simple par la collectivité publique ne faisait pas obstacle à ce que le service soit qualifié de SPIC alors même que l’activité était gérée sous forme de monopole.

Dès lors, il semble opportun de considérer que l’identification des SPIC repose sur une combinaison de ces critères qui restent, par ailleurs, très subjectifs.

La recherche du cractère administratif ou industriel et commercial des services publics semble aussi incertaine et ardue que la qualification de service public d’une activité donnée. Ainsi, il se peut q’une même activité soit considérée comme un SPA ou comme un SPIC selon la manière dont elle est organisée. L’exemple des campings municipaux est topique. Ils ne sont qualifiés de SPIC que si les modalités particulières de gestion impliquent que la commune a entendu leur donner ce caractère. C’est ce qui ressort d’un arrêt du Tribunal des conflits du 14 janvier 1980, Mme Le Crom.(rec. Tables, p. 633) Notons ici que dans ce cas de figure, si le critère du fonctionnement diffère, l’objet de l’activité reste, quant à lui, identique, ce qui affaiblit la thèse selon laquelle il s’agirait de critères cumulatifs. Ainsi, Stéphane. Braconnier, dans son ouvrage Droit des Services publics, (PUF) semble parfaitement tenir compte la réalité de la jurisprudence relative à cette question lorsqu’il écrit que c’est une impression d’ensemble qui autorise à renverser la présomption d’administrativité du service public.

Dans tous les cas, le juge administratif dispose d’un pouvoir d’appréciation relativement large.

Nous pouvons cependant remarquer que la jurisprudence devient de plus en plus claire en ce sens que le juge semble avoir définitivement renoncé au caractère cumulatif des critères.

Dès 1991, dans un arrêt M. Thomas du 9 février (AJDA 1990, p. 558) il a reconnu « Qu’eu égard a à son objet et aux conditions de fonctionnement, le service de distribution d’eau, exploité en régie par la commune de Francazal présente le caractère d’un service public industriel et commercial, bien que la somme à la charge de chacun des titulaires d’une police d’abonnement ait un caractère forfaitaire et soit inférieure au coût réel du service. »

Le Tribunal des conflits ne tenait pas compte du critère du mode de gestion. Il a récemment confirmé cette position.

Tout d’abord dans un arrêt du 21 mars 2005 Mme Alberti-Scott (RFDA 2006, p. 125, note J.F. Lachaume). En l’espèce, l’objet du service était la distribution de l’eau. Le service était géré en régie par la commune, ne disposant pas d’un budget annexe. Enfin, le prix facturé ne couvrait que faiblement le coût annuel du service. Deux des critères abondaient dans le sens du maintien de la présomption d’administrativité du service public, or, le Tribunal des conflits a considéré que « le service public de distribution d’eau est en principe, de par son objet, un service public industriel et commercial ; qu’il en va ainsi même si, s’agissant de son organisation et de son financement, ce service est géré en régie par la commune, sans disposer d’un budget annexe, et si le prix facturé à l’usager ne couvre que partiellement le coût du service. » Seule une absence de facturation périodique à l’usager permettrait de confirmer la présomption d'administrativité pesant sur chaque service public.

Le Tribunal accorde ainsi une place prépondérante au critère de l’objet dans l’identification du SPIC. S’agit-il d’une hiérarchisation des critères ? D’une présomption de caractère industriel et commercial liée au seul objet du service public en cause ? Si le Tribunal semble réserver une place primordiale au critère de l’objet, il n’entend pas pour autant oublier les autres critères puisqu’il y fait expressément référence. Cependant, le Tribunal des conflits juge ici qu’un service public peut, par son seul objet, être présumé industriel et commercial.

Il nous reste alors à rechercher s’il s’agit d’une présomption simple ou d’une présomption irréfragable. A priori, il devrait s’agir d’une présomption simple. Cependant, si tel était le cas, les deux autres critères, apparentant le service public en cause à un service public administratif auraient dû permettre au juge de renverser cette présomption. Dès lors, devons-nous en conclure qu’il s’agit d’une présomption irréfragable ? La seule certitude résultant de la décision Alberti-Scott concerne la prédominance du critère de l’objet.

Le Tribunal des conflits a confirmé sa jurisprudence Alberti Scott dans un arrêt du 16 octobre 2006 (n° C3511). Il s’agissait d’un service public de distribution d’eau d’irrigation exercé en régie par un EPCI. Le Tribunal des conflits a, une fois de plus, considéré que l’activité en cause présentait « un caractère industriel et commercial, nonobstant la circonstance que le montant des redevances à la charge des bénéficiaires ne représenterait qu’une faible partie du coût du service. » Dans cette espèce, il n’est pas fait référence à une présomption de caractère industriel et commercial liée à l’objet du service. Cependant, il en ressort clairement que le fait que les deux autres critères penchent en faveur d’un caractère administratif du service ne fait pas obstacle à ce qu’il soit qualifié de SPIC.

Ainsi, il ressort nettement de la jurisprudence récente du Tribunal des conflits que le critère de l’objet joue un rôle prépondérant dans la qualification des SPIC et qu’il suffit, à lui seul, à renverser la présomption d’administrativité pesant sur chaque service public. Il est cependant nécessaire de remarquer que ces arrêts concernent le service public de la distribution d’eau. Dès lors, il est loisible de s’interroger sur la portée de cette jurisprudence. Va-t-elle être étendue à l’ensemble des services publics ou s’agit-il d’une particularité reconnue au seul service public de la distribution de l’eau ? Une chose est certaine : les critères de distinction SPIC-SPA laissent encore subsister un flou considérable et ce, à un point tel que la théorie du label développée par Didier Truchet (« Label de service public et statut de service public », AJDA 1982, p. 427) pourrait parfaitement se transposer à la distinction SPIC-SPA.

jeudi 7 décembre 2006

Raphaël GOUPILLE
238 route nationale
45140 Ingré


ETUDES

  • 2005-2006 IEJ d'Orléans, obtention de l'examen d'entrée au CRFPA
  • 2004-2005 DESS droit des sociétés et fiscalité Faculté d'Orléans
  • 2003-2004 Maîtrise de Droit option droit des affaires - mention assez bien
  • 2002-2003 Licence de Droit - mention assez bien
  • 2000-2002 DEUG de Droit
  • 1998 Baccalauréat général, série scientifique

STAGES EN ENTREPRISES:

  • Depuis 2006 Assistant de justice auprès de la chambre fiscale du Tribunal administratif d'Orléans
  • 09/2005 - 11/2005 Stage au cabinet d'avocat Le Metayer Orléans
  • 07/2005 - 08/2005 Stage au cabinet Francis Lefebvre, service TVA
  • 05/2005 Bank of Tokyo Mitsubishi Département Business operations
  • 07/2004 - 09/2004 Bank of Tokyo Mitsubishi Département Business operations
  • 10/2003 - 05/2004 Tuteur auprès des étudiants de première année de droit Faculté d'Orléans
  • étés 1999/2000/2002/2003 Attaché commercial à la Caisse d'épargne VFO
  • 06/2002 Stage au cabinet d'avocat Foucault-Perron Angers
  • 01/2001 Télé enquêteur, Centre d'appel Trajectoire Orléans

OUTILS INFORMATIQUES

  • Word, excel, Power Point, Photoshop

CENTRE D'INTERET

  • Equitation (galop 3), tennis, basket, astronomie, archéologie, cinéma

DIVERS

  • Anglais courant
  • Permis de conduire B
  • Lauréat du concours Pothier de la faculté d'Orléans (droit des successions)

Suppression de l'abattement de 20%: présentation


La loi de finance pour 2006 vient d’apporter une modification importante au régime d’imposition des contribuables : la suppression de l’abattement de 20% (mais maintien de la déduction forfaitaire de 10% pour frais professionnels) compensée par une révision du barème de l’impôt et un ensemble de correctifs visant certains revenus.

Il était, en effet, jusqu’alors possible pour certains revenus de déduire un abattement forfaitaire de 20%. Cet abattement concernait notamment les salaires, les pensions, les rentes viagères et les bénéfices professionnels pour les adhérents à un centre de gestion agréé.

L’origine de cet avantage résidait sur une approche pragmatique. En effet les revenus pouvant bénéficiés de cet abattement font soit l’objet d’une déclaration par un tiers (employeur pour les salaires) soit l’objet d’un contrôle avant la déclaration (profession adhérent à un centre de gestion agréé). Il était dés lors particulièrement difficile pour les bénéficiaires de ces revenus de les minorer, en d’autre terme de frauder. Or les bénéficiaires d’autres revenus tels que les revenus fonciers, les revenus des professionnels soumis au régime des BIC ou des BNC qui n’adhéraient pas à un centre de gestion agrée pouvaient plus facilement minorer leur déclaration par exemple en « gonflant » leur charges ou en minorant leur revenus.

C’est pour prendre en compte cette différence et, en quelque sorte, la « rupture d’égalité devant la fraude » que l’abattement de 20% avait été mis en place. Désormais cet abattement est supprimé, mais le raisonnement que nous venons d’exposer reste d’actualité dans la mesure où cette suppression s’accompagne d’aménagements.


1) Correctifs à la suppression :

Si l’abattement de 20% disparaît en tant que tel, l’avantage n’en sera pas pour autant perdu dans la mesure où les effets de l’abattement seront intégrés dans le barème de l’impôt sur le revenu. Or ce barème trouve à s’appliquer pour tous les contribuables et non uniquement pour les anciens bénéficiaires de l’abattement, des correctifs sont donc prévus qui devraient touchés les revenus ne bénéficiant pas antérieurement de cet abattement.

Leur seront ainsi appliqué une majoration forfaitaire de 25 % du bénéfice imposable. Pour la même raison, les abattements forfaitaires pour frais applicables dans le régime de la micro entreprise font l'objet d'une réduction. Le nombre de correctif est important et leur véritable incidence fiscale devrait se révéler progressivement !

Vous trouverez ci dessous les principaux correctifs :

Type de revenus

Mesures de correction

Pension versée en vertu d’une décision de justice

Majoration de 25%

Déduction des pensions alimentaires versées

à des enfants majeurs

Passe de 4489 € à 5398 €

Abattement forfaitaire « enfants mariés ou pacsés rattachés»

4 489 par personne à charge porté à 5 398

Abattement accordé aux contribuables

âgés de plus de 65 ans

2 132 € lorsque le revenu global n’excède pas 13 125 € et 1 066 € lorsque le revenu global est

compris entre 13 125 € et 21 188 €

TNS non adhérent à un CGA

Majoration de 25%

Revenus fonciers

Réduction de l’abattement du micro foncier de 40% à 30%

Suppression de la déduction forfaitaire de 14% (6% en Robien)

Nouvelles charges déductibles pour leur montant réel

Travailleurs indépendants qui ne sont pas

adhérents d’un organisme agréé (BIC/BNC)

Majoration de 25%

Micro BIC

Le taux d’abattement passe de 72% et 52% à 68% et 45%

Micro BNC

Le taux d’abattement passera de 37% à 25%

Pensions alimentaires

Majoration de 25%

Revenus de capitaux mobiliers

Pourcentage d’imposition des revenus distribués passe de 50% à 60%

Les abattements forfaitaires de 1 220 € à 2 440 € sont portés à 1 525 € à 3 050 €

Majoration forfaitaire de 25% pour les revenus réputés distribués, aux revenus des participations dans des entités étrangères

soumises à un régime fiscal privilégié, aux revenus distribués mentionnés aux c à e de l’article 111 du CGI

Prime pour l’emploi

Majoration de 25% du revenu fiscal de référence

Salaires des personnes non domiciliées en France

Les taux de 15 et 25% des retenues à la source passent à 12 et 20%

En cas de non déclaration spontanée des revenus il était jusqu’alors impossible, à titre de sanction, de procéder à la déduction de 20%. La suppression de cet abattement sans la mise en place d’une nouvelle sanction aurait donc conduit à conférer un avantage aux personnes ne déclarant pas spontanément leur revenu. Il a donc été institué une nouvelle sanction de 10%. Cette nouvelle sanction est applicable en cas de défaut ou de retard de souscription des déclarations et en cas d’inexactitudes ou d’omissions relevées dans les déclarations. Cette majoration peut également dans certains cas s’appliquer avec les majorations d’assiette de droit commun, la majoration de 10% pour paiement tardif et l’intérêt de retard.

2) Modification du barème d’imposition :

Cette réforme s’appliquera à compter de 2007 pour l’imposition des revenus de 2006 et entraîne le passage à cinq taux d’imposition au lieu de sept. Cette réforme prend en compte l’intégration de l’abattement de 20%. L’un des buts de la réforme est également de rendre la fiscalité française compétitive par rapport à nos principaux partenaires économiques, le taux marginal d’imposition maximum se trouvant dans la moyenne de ceux pratiqués en Allemagne, Italie et Royaume Uni. Une diminution de l’imposition de l’ordre de 8% en moyenne devrait être engendrée la réforme. Si l’on en croit le gouvernement cette modification devrait être bénéfique pour les contribuables : http://www.minefi.gouv.fr/presse/dossiers_de_presse/ministre/plf2006/plf/recettes/2_dispositions.pdf

Sans entrer dans un débat politique qui n’a pas de raison d’être ici, nous pouvons souligner que si le nouveau barème devrait effectivement bénéficier aux revenus moyens, la suppression de deux taux d’impositions conduit à limiter le caractère progressif de l’impôt et des différences peuvent donc apparaître entre les classes moyennes « basses » et « hautes ».

Tranches de revenus imposables
(en €uros)

Taux marginal d’imposition

Taux global d’imposition
(pour le max. de la tranche)

De 0 à 5 515 €

0,00 %

0,00 %

De 5 516 à 11 000 €

5,50 %

3,33 %

De 11 001 à 24 432 €

14,00 %

8,82 %

De 24 433 à 65 500 €

30,00 %

22,10 %

Au-delà de 65 501 €

40,00 %

34,14 % pour 200 000 €

lundi 27 novembre 2006

Premier message

Voici le premier message de ce blog réalisé par des doctorants, chargés de travaux dirigés et élèves avocats de l'université d'orléans. Nous avons eu l'envie de partager notre vision du droit et vous faire profiter de notre analyse de l'actualité juridique. Bonne lecture.